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La prison rend malade

Prison de Forest

Dans le langage du pouvoir, la prison serait avant tout une « institution pour réintégrer », une sorte d’hôpital pour guérir la maladie de la délinquance. Elle serait en quelque sorte une « opportunité » offerte à ceux qui ont fait des erreurs pour réfléchir et se remettre « sur le droit chemin ».
A maintes reprises, nous avons expliqué en quoi la punition, la Justice, la peine de prison n’est pas une question de « justice » (si on veut utiliser ce mot-là), mais une mesure de protection de l’ordre établi. Nous avons décrit la prison comme une machine à broyer des êtres humains, comme un monstre à absorber les tensions sociales qui s’expriment entre autres à travers le « crime ». Que la visée de la prison est d’annihiler la personnalité des prisonniers, de les transformer en êtres obéissants et dociles.

Au-delà de la volonté des directions pénitentiaires, des juges, des gardiens, le fonctionnement même de la prison, son architecture, son appareil, détruit les hommes. Aujourd’hui, à la prison de Forest, un autre exemple triste et éclatant en est donné. Vu la « surpopulation » (plus de 700 détenus pour 400 « places »), les prisonniers qui souffrent de tuberculose ne peuvent pas être mis à part ou soignés… ce qui laisse libre cours à la contamination de toute la population carcérale. Et ne vous trompez pas sur les intentions « humanitaires » : si les gardiens de Forest dénoncent cette situation aujourd’hui, c’est parce que leur santé à eux aussi est compromise...

La prison ne guérit pas, elle rend malade. La tuberculose, maladie typiquement réservée aux pauvres et aux damnés de la terre, n’est que le signe visible du processus de putréfaction mis en place et cautionné par l’Etat dans ses prisons. Se battre contre, ce ne serait certes pas de faire appel aux médecins dans les prisons « à prendre leurs responsabilités », d’exiger la construction de nouvelles prisons « mieux adaptées » mais au contraire, d’aboutir à la conclusion logique que pour guérir, il faut de l’air, il faut la liberté, à tout moment et dans toute circonstance.

Invitation à perturber les activités d'un des profiteurs de la misère: l'huissier...

Le mardi 6 mars, une trentaine de personnes ont profité de l'après-midi pour rendre une petite visite à un bureau d'huissiers de St Gilles. Après un petit tour dans le quartier en chantant des chansons et distribuant des invitations à venir perturber l'activité de ce charognard, le groupe de personnes s'est rendu devant le bureau situé près du Parvis. Le volet protégeant la vitrine du bureau venait tout juste d'être fermé... C'est donc en chanson et devant les regards amusés (et complices) de bon nombre de voisinEs et passantEs que la devanture de ce bureau a été entièrement murée. Brique par brique, et en étalant le ciment à la truelle. Après avoir été monté, le mur a même reçu quelques inscriptions: "pas d'pitié pour les huissiers !" Des dizaines d'affiches ont aussi été collées sur la façade et aux alentours.

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Invitation à perturber les activités d'un des profiteurs de la misère: l'huissier...

C'est parce qu'il ne pourra jamais rendre tout ce qu'il a pris, que nous ne lui demanderons rien. C'est à nous de reprendre nos vies en mains.

On nous parle sans cesse de la crise. On nous somme de nous serrer la ceinture. De faire un effort pour le bien commun. D'accepter des mesures d'austérité sans broncher pour servir les intérêts économiques de la nation. Soit continuer à produire et consommer sans autres perspectives que de survivre dans un monde qui nous suce jusqu'au sang.

Cette crise n'est pas juste un mauvais moment à passer, une faille dans le système qui pourrait être colmatée à la sueur de nos fronts. Il s'agit bien d'un moyen parmi d'autres pour les États de gérer et aménager la situation économique et sociale. De conserver l'ordre existant, celui des dominants de ce monde.

Les nouvelles mesures d'austérité ne font que creuser encore plus le fossé entre les riches et les pauvres. Parce que l'argent n'appartient pas aux pauvres c'est bien connu. Moins t'en as, plus on t'en prend, plus t'enrichis ceux qui ont.

Et les dirigeants se donnent les moyens pour nous faire avaler la couleuvre. Les contrôles en tous genres s'intensifient et la peur de la répression économique et policière pousse à la résignation. L'état social empêche les solidarités directes de se créer et endort les révoltes sous la couverture de la médiation en s'accaparant le rôle d'intermédiaire dans tous nos rapports. En prévoyance des mécontentements qui ne manqueront pas de surgir de différentes manières, les lieux d'enfermement se multiplient, l'arsenal policier se diversifie et augmente chaque année et des nouveaux postes de vigiles se créent tous les jours.

Alors en “cette période de crise”, les huissiers ne pourront se plaindre que d'une chose: avoir trop de travail. Dans un monde où tout à un prix, où l'argent est indispensable à la survie, ne pas en avoir est un crime. Les huissiers sont là pour nous le rappeler. La bourse ou la vie...

C'est leur rôle de nous faire cracher pour ce qu'on a pas pu payer, nous prendre le peu qu'on possède, quitte à nous détruire. Aucun dialogue n'est possible, ils sont assermentés. Ils ont prêté serment devant l'autorité des riches. Et c'est tout à leur intérêt parce qu'il se serviront largement au passage. C'est bien de nos galères qu'ils se sustentent.
Une amende impayée, un emprunt impossible à rembourser, des factures trop salées, la perte d'un boulot, la suppression des droits de chômage, une maladie impromptue... Les circonstances où nous sommes menés à nous frotter à ces sangsues sont nombreuses et le seront de plus en plus.

Mais Monsieur le Huissier est toujours là, prêt à s'en mettre plein les poches. D'abord il exercera une pression mentale, en envoyant des courriers austères et souvent incompréhensibles, qui annonceront le début des hostilités. Il n'hésitera pas à bloquer les comptes et retirer les maigres revenus s'il y en a. Si ça ne suffit pas, il viendra directement à domicile en compagnie des ses amis flics et serruriers et nous dépouillera, nous prendra tout, ne nous laissant q'un sentiment mêlé de rage et d'humiliation. Ce vol légal a un prix et c'est à nous encore de le payer.

Alors agissons dès maintenant en créant des liens de solidarité qui nous permettront de lutter contre nos ennemis les affameurs. Trouvons ensemble les moyens de s'opposer aux expropriations, aux coupures d'eau, d'électricité, aux expulsions... Refusons de continuer à engraisser ceux qui ont déjà la panse trop tendue.

Il ne tient qu'à nous de nous affranchir de exploiteurs et éliminer de nos vies tous les profiteurs de la misère. Prenons la liberté d'enfin VIVRE.


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A l'attention de Mr. Louis Sié Huissier de Justice assermenté

Sommation – Citation

Attendu que le rôle des huissiers est de participer au maintien de l'ordre des riches.
Qu'ils font partie des profiteurs qui s'engraissent sur nos misères.
Qu'en cette période d'austérité accrue, ils ne pourront se plaindre d'autre chose que d'avoir trop de travail.
Attendu que la Loi permet aux huissiers de s'introduire dans nos vies et des les monnayer quitte à les détruire.
Qu'ils n'hésitent pas à se faire accompagner d'un serrurier et d'un policier pour nous faire cracher ce qu'on n'a pas pu payer.
Attendu que nous ne reconnaissons ni l’État, ni la Loi.
Que nous refusons tout dialogue avec leurs intermédiaires.

Usons de tous les moyens pour nous débarrasser de ces sangsues et reprendre nos vies en main !

En conséquence des éléments précédemment cités, nous décidons, en ce jour de l'an deux mille douze, de procéder à la perturbation publique des activités d'un bureau d'huissier.

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Pas d'pitié pour les huissiers
(Sur l'air de Mylord - Edith Piaf)

Ne venez pas Mylord
Messieurs les huissier
Faut même pas essayer
D'venir nous expulser!  

Si jamais malgré tout
Vous approchez d'chez nous
Vous serez bien reçus
A grosses volées d'cailloux...  

Avec votre serrurier
Et puis votre policier
Tranquilles vous v'nez toquer
Et vous v'nez tout vider  

A vous tous qui vivez
Sur notre pauvreté
On s'laissera pas piller
Sans vous en faire baver...  

A toutes les charognes
Qui s'en foutent plein les pognes
Qui vivent de notre misère
"Rendez vous au cimetière!"  

Si jamais vous flippez
Faut changer demétier
Y a pas de bons huissiers
Comme y a pas d'bons policiers...

Pauvres

Très souvent, on a tendance à ne prêter attention qu’à ce qui est matériel, mesurable en quantité. Ainsi, on serait amené à considérer la misère qui règne dans cette société uniquement sous un angle de pauvreté matérielle, autrement dit, le manque de fric. Mais le capitalisme ne nous enlève pas uniquement les moyens matériels pour vivre comme bon nous semble. Il ne nous oblige pas uniquement à aller travailler ou à s’agenouiller devant les institutions de bienfaisance sociale. Il ne nous impose pas uniquement de survivre dans un milieu contaminé par l’industrie, intoxiqué par sa production d’objets inutiles et nuisibles, irradié par son formidable outil nucléaire qui rend tout le monde dépendant de l’Etat et de ses spécialistes au vu des risques et des catastrophes qu’il implique. Non, ce n’est pas seulement ça.

Ce qui est peut-être encore pire que l’appauvrissement matériel, c’est la misère émotionnelle qui règne dans cette société, qui est générée par l’ensemble des rapports sociaux qui donnent à ce monde la sale gueule qu’il a. On fait dépression sur dépression, on assiste à suicide sur suicide, on vit des relations et des rapports imprégnés de méfiance, de concurrence, de violence et d’hypocrisie, les multiples drogues nous cachent quelques instants la réalité laide et brutale. Nos rêves et désirs ne vont pas au-delà du triste horizon de l’existant  : l’aventure, l’inconnu, la passion… sont bannis et on ne peut les expérimenter que par procuration (films, jeux vidéos,...). La tristesse nous enchaîne autant que l’ombre des prisons, la galère des boulots, le besoin d’argent.

Ce monde a même inventé toute une palette de « guérisseurs » et de « remèdes » pour cette misère moins « visible », plus intime. De psychiatres en psychologues, de drogues en antidépresseurs, de moments de « soupape » comme la soirée en boîte du samedi ou le lendemain au match de foot en semblants de bonheur vécus en spectateurs derrière un quelconque écran (interactif comme l’internet ou passif comme la télé)… toute un marché est bâti sur la misère affective et émotionnelle. Cependant, encore moins que pour la pauvreté matérielle, aucun « remède » ne suffira jamais. La tristesse revient toujours, elle s’agrippe aux êtres humains, elle les poursuit et les traque…

Mais il y a autre chose aussi. Bien cachée par le pouvoir, bien éloignée par la coutume, bien étouffée par l’ordre social. Ce n’est pas une échappatoire, ce n’est pas un adieu définitif à la tristesse, mais c’est un début : du moment où nous décidons de ne plus subir, mais d’agir ; de ne plus se résigner, mais de se révolter ; de ne plus traîner, mais de vivre, la tristesse commence à fondre. En s’insurgeant, non seulement nous faisons un pas offensif contre ce qui nous étouffe et nous opprime, mais peut-être plus important encore, nous conquérons la joie de vivre, la gaieté des rapports entre insurgés complices, la franchise et l’audace dans ce que nous pensons et ce que nous faisons. Le « bonheur » ne réside en effet pas dans l’accumulation d’argent, dans l’exercice du pouvoir sur d’autres, dans un quelconque au-delà, mais par exemple dans la douce cohérence entre ce que nous pensons et ce que nous faisons. La tristesse provient du fait que nous n’arrivons plus à nous reconnaître quand nous nous regardons dans le miroir, droit dans les yeux. Que la générosité de notre être, de nos pensées, de nos actes se remplace par la méfiance, la retraite, le recul. Que notre vie ne semble avoir aucune valeur, car ce monde ne la donnera jamais. Que nous avons cessé de chercher à conquérir la capacité de donner nous-mêmes la valeur à nos vies.
En effet, toute la richesse de nos vies est là, devant nos yeux. Il suffit d’allonger les bras, les mains armées de confiance, d’idées et de liberté. C’est par l’effort de la liberté, par la révolte contre une existence démunie de sens, qu’on chassera les ténèbres hors de nos cœurs.

La fabrique du consentement

A deux reprises le Forum Nucléaire, porte parole du lobby nucléaire belge, nous a inondé de ses campagnes de propagande : en 2010, c'était « pour ou contre le nucléaire », où l'opposition était caricaturée par des partisans du retour la bougie. Le mois dernier, le forum sortait sa carte « citoyenne » : tout un chacun était invité à poser ses interrogations sur le nucléaire. D'où les bornes interactives dans les gares, les affiches dans les stations de transport et dans la rue, les cartes postales à gogo.

Plus que la poursuite du programme nucléaire, c'est une vision du monde que le forum essaie de nous vendre. Dans sa vision d'un monde irradieux, tous les moyens sont bons pour nous faire accepter l'inévitabilité du nucléaire et de tout ce qui y est lié.

Ces campagnes servent de leurres démocratiques sous prétexte de légitimer la continuation d'un programme nocif mais juteux. Dans le jeu de dupes de la démocratie, les scientifiques sont là pour noyer le poisson radioactif en fournissant un flux de chiffres et de normes rassurantes. L’État est là pour donner la façade démocratique. Et nous, nous sommes censés être là pour avaliser toute cette mascarade.

A nous de savoir si nous voulons participer à ce jeu de dupes. D'autres mondes sont toujours possibles contre le monde unique du nucléaire avec son horizon prétendument indépassable. Il appartient à chacun de s'outiller en pensée et dans les actes contre les petits soldats et les grands généraux de la pensée unique. Il nous appartient de nous rencontrer, peut-être autour de cette affiche, et de celles à créer, et de relancer l'art de la palabre et des causeries de rue pour reprendre prise sur nos vies.

Donnons-nous quelques outils théoriques pour s'opposer aux rouleaux compresseurs de la propagande nucléaire, et pour commencer : la suite de ce texte sur : lesliquidateursduvieuxmonde.wordpress.com

[Affiche qui était collé sur le parcours du manif anti-nucléaire à Bruxelles, un ans après le désastre à Fukushima (Japon), 11 mars]

Contre le train à haute vitesse

De la lutte en Italie jusqu'à Bruxelles-Midi

Dans le nord de l’Italie, le massif montagneux qui fait frontière avec la France est depuis déjà plus d’une vingtaine d’années le champ de bataille contre un nouveau tracé du train à haute vitesse. Un tracé qui devrait faire voler un train à travers les montagnes, un tracé qui devrait relier l’Italie en un en un clin d’œil avec les capitales européennes ; tracé qui ne laisserait sur son chemin que la dévastation. Une énième mutilation brute de la nature jusqu’aux affaissements de terrain dans les villes, provoquant l’écroulement de nombreuses habitations. Chaque fois que cet engin passe quelque part avec la rapidité d’une flèche, et que nous fermons vite nos oreilles et détournons nos yeux, ça nous rappelle l’agression sans bornes par laquelle le capital met en loques notre temps, notre espace, nos pensées et nos sentiments.

Peut-être qu’à cet instant tu t’arrêtes une fois de plus de lire, car tu penses : en quoi ça nous importe l’Italie, qu’est-ce que ça peut nous foutre la nature ou la beauté et la quiétude des montagnes tandis que nous vivons dans la métropole, serrés entre les autoroutes, les industries et un incinérateur ? En quoi est-ce que ça pourrait nous toucher cette violence d’un train qui fonce à travers les montages tandis que, jour après jour, nous sommes entourés de violence sous mille formes, tant de violence que nous en sommes devenus insensibles ? Qui en a quelque chose à foutre que quelque part des gens luttent contre la vitesse tandis qu’ici, on préférerait certes que le temps s’accélère ?

Parfois il ne s’agit pas tellement d’opposer des choses, mais plutôt de les relier. A regarder par exemple où le train à grande vitesse touche aussi nos vies par exemple. Faisons une tentative. Devant nous, le plan de Bruxelles. Nous faisons un zoom sur Bruxelles-Midi, gare internationale. Là convergent les rails qu’utilisent pas moins de quatre entreprises différentes de la grande vitesse : le Thalys de l’Allemagne vers la France, le ICE qui relie Bruxelles à plusieurs villes allemandes, le TGV vers le sud de la France et l’Eurostar de Bruxelles à Londres. Bientôt, il y en aura d’ailleurs un cinquième : le FYRA, de Bruxelles à Amsterdam. Et aussi ICE sont en train d’élargir leur offre : de l'Allemagne en passant par Bruxelles vers l’Angleterre. Des dizaines de fois par jour, le train à grande vitesse fonce ici dans nos vies à Bruxelles. A quel prix ?

L’objectif vise Saint-Gilles, en bas. La partie la plus pauvre de la commune. Comme dans tant de quartiers bruxellois, les pauvres n’habitent pas trop loin des riches, et on s’efforce bien de pousser les pauvres plus loin afin de permettre à plus de riches de s’installer sur la commune. Saint-Gilles en bas, près de la Gare du Midi. A côté de cette gare, cet endroit où la vie est transformée en vitesse et argent, vivent des humains. Serrés entre la démolition des maisons afin de faire place pour des hôtels et des restaurants en bas, et d’une invasion de bobos inconscients d’en haut. Serrés entre le besoin d’argent pour survivre et la prison dans cette même commune où de nombreuses personnes qui ont transgressé la loi sont accueillies. Mais évidemment, cette histoire ne concerne pas que Saint-Gilles… la logique du capital et sa dévastation sont partout.

Focalisons-nous sur le quartier européen, en plein Saint-Josse. La commune où vit le pourcentage le plus élevé de pauvres, pas seulement de Bruxelles, mais de toute la Belgique. Le quartier européen, où les institutions se bousculent, où les riches et les puissants de toute l’Union Européenne se réunissent afin de décider de la vie et l’avenir. Où les gros lards en costard se rencontrent autour de champagne et de caviar afin de décider combien ils veulent épargner sur nos dos. Bruxelles, cœur de l’Europe, carrefour de relations commerciales, et de décisions politiques. De là tous ces trains à grande vitesse, ça va de soi. La vermine qui se rencontre à Bruxelles a besoin de transports pour s’y rendre, et à la plus grande vitesse possible. Evidemment, on ne se soucie pas de ce qu’on dévaste en passant, cette mafia ne pense qu’au business et au pouvoir.

Mais ce n’est pas uniquement une question de fric. Tous les ordinateurs portables et smartphones dérobés autour de la Gare du Midi sur un tas et nous ne serons toujours pas satisfaits. Ce n’est qu’une question d’espace spécifique, il ne s’agit pas d’un endroit à Bruxelles qu’on nous avait permis jusque-là de défendre. Il y a bien plus en jeu. Ça concerne aussi la façon dont nous vivons, la manière qui nous fait songer au train à grande vitesse, une manière nécessaire à la perpétuation de cette machine que nous méprisons tant. Attisé et fouetté par le temps, chassé à travers l’espace, avec le portable en main comme pour marquer le rythme de la flexibilité et du contrôle. La vie déchirée en morceaux. Changer de face dix fois par jour parce que chaque environnement, exige de nous un autre comportement. Aliéné du temps, aliéné de l’espace, de nous-mêmes et des autres. Quand nous luttons, attaquons, crachons sur les responsables de ce fumier dans la gueule, on doit aussi accepter le défi d’expérimenter, d’expérimenter une vie autre. Car c’est bien ce pourquoi nous combattons : une vie autre.

Ce n’est pas une question de secondes. Il ne s’agit pas d’être encore plus rapide que le train qui accélère devant nos yeux. Tout comme l’importance n’est pas dans les distances spatiales que nous pouvons franchir toujours plus vite et au prix de tout ce qui se trouve sur le chemin. La nouveauté n’est pas cachée dans un citytrip entre-temps, elle est comme une possibilité en nous-mêmes. Si nous jetons par-dessus bord le temps, nous étendons l’expérience aussi longtemps que nous le voulons. Tout comme notre capacité, les yeux fermés, de transporter l’ailleurs vers ici.

Il s’agit d’ouvrir par la force de nouvelles possibilités, que nous pourrons relier avec d’autres, à travers le temps et l’espace. Le passé et l’ailleurs se faufilent dans le présent et l’ici. Il s’agit de choisir l’offensif, avec le sourire, armé et joyeux. La subversion est la vie qui n’est plus enfermée et figée par la rouille, mais une libre découverte.

Mesdames et Messieurs,

« Mesdames et Messieurs, bienvenue dans le train à destination de la prochaine ville d’importance économique et politique. Installez-vous confortablement, car dans quelques instants nous quitterons la capitale de l’Europe, vers votre destination bien définie. Bien en ligne, tout droit, sans surprise, comme la vie-même… sous contrôle ! De plus, nous ferons tout pour y arriver à grande vitesse, car time is money et la vie une course concurrentielle.

Entretemps, mes chers passagers, nous nous emploierons à ce que vous puissiez voyager en tout tranquillité et que vous ne soyez pas trop perturbés par la lutte contre le TGV en Italie qui a récemment provoqué de nombreux blocages du nord au sud du pays, après que les forces de l’ordre aient envahi un camp de résistance dans les montagnes du Val di Susa et provoqué la chute d’un anarchiste d’un pylône électrique. Nous mettrons tout en œuvre pour que votre voyage ne soit pas perturbé comme cela a été le cas récemment à Lyon où des enragés solidaires avaient jeté du sable sur les caténaires du TGV, et causé ainsi des retards considérables. Nous nous attachons à ce que votre voyage ne soit pas interrompu, comme ça a été le cas la semaine passée à Chambéry, ou trois attaques incendiaires ont saboté le TGV Lyon-Turin, provoquant la suppression de dizaines de trains. Très chers clients, vous ne remarquerez rien de la solidarité qui se met en place avec cette lutte contre le nouveau tracé du TGV en construction à Val di Susa. Vous pouvez vous sentir en toute sécurité dans notre bulle de l’argent et de la vitesse.

Et bien sûr, avant qu’on ne l’oublie : soyez vigilants, gare aux pickpockets ! Ces pauvres sont partout et ils savent bien où trouver l’argent. N’oubliez pas que vous resterez toujours une cible potentielle. Gardez donc vos portables, tablettes et autres instruments technologiques bien sur vous, car on sait toute la valeur qu’ils ont dans ce monde de business et de flexibilité.

Mesdames et Messieurs, le personnel de bord vous souhaite un agréable voyage, n’oubliez surtout pas de vous laisser contrôler spontanément et avec le sourire ! Car le contrôle nous importe tous et se doit d’être un acte de réciprocité. »

Raconte-moi… de la liberté, je t’écoute…

« Mais pour vous, qu’est-ce que ça veut dire… la liberté ? » Et il nous regardait, comme si c’était une question de tous les jours, une question qu’on se pose l’un à l’autre quand on se croise. Un sujet souvent discuté, un sujet à définir. Cette question m’a surprise, cette belle question, je ne savais pas quoi répondre. Mais on était une trentaine dans ce local, et d’autres commençaient à expliquer leur vision.

On était une trentaine dans ce local, une trentaines de rebelles de différents contextes, pays, milieux. Ce qui nous réunissait tous là-bas, c’était une discussion sur la lutte des harragas à Paris. Lui et son ami venaient du Maghreb, deux garçons parmi des milliers d’autres, qui avaient traversé les frontières vers l’Europe suite aux soulèvements là-bas, à la recherche de la liberté.

Mais au-delà de ça, plus profondément, ce qui nous liait dans cet espace, c’est qu’on partageait tous cette lutte, la lutte pour la liberté. On avait partagé un parcours de révolte pendant des années, ou simplement pendant un instant ou deux et on n’avait pas les mêmes conceptions du mot « liberté ». Peu importe, le fait d’y réfléchir, d’en parler, d’en discuter publiquement, me semblait plus important. C’était une occasion rare.

Là, je viens de lire un peu ce qu’un des « pères » de la pensée anarchiste, Mikhaïl Bakounine, a écrit sur le sujet il y a environ 150 ans déjà. Il m’a impressionnée. En deux mots, ce qui lui importe, c’est que la liberté est un rapport social, ce qui veut dire que la liberté n’existera jamais « isolée », mais qu’elle s’exprime en donnant corps et âme à nos liens avec d’autres et plus largement à tous les rapports dans la société. Il a une vision sur sa liberté comme étant nécessairement en lien avec la liberté de l’autre. Si l’autre n’est pas libre, on ne sera jamais libre. En positif : la liberté de l’autre élargit la mienne. Je cite…

« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d’autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m’entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde, plus large devient ma liberté. C’est au contraire l’esclavage des hommes qui pose une barrière à ma liberté, ou ce qui revient au même, c’est leur bestialité qui est une négation de mon humanité parce que encore une fois, je ne puis me dire libre vraiment, que lorsque ma liberté, ou ce qui veut dire la même chose, lorsque ma dignité d’homme, mon droit humain, qui consiste à n’obéir à aucun autre homme et à ne déterminer mes actes que conformément à mes convictions propres, réfléchis par la conscience également libre de tous, me reviennent confirmés par l’assentiment de tout le monde. Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tout le monde s’étend à l’infini. » M. Bakounine (1814 – 1876)

Aujourd’hui, les réflexions sur la liberté ont été radicalement évacuées de la pensée collective. Comme si la question « Qu’est-ce que c’est la liberté ?» n’avait pas d’importance ni de valeur. Ça parle du travail, toujours plus ; des prisons, il n’y en aura jamais assez ; ça parle de Flamands, Wallons, Marocains et je ne sais pas quoi, comme si on avait besoin d’une « nationalité » pour être heureux. Et alors, quand j’entends quelqu’un poser cette question « qu’est-ce que la liberté ? », j’écoute attentivement. De l’air…

Qu’est-ce que c’est la liberté ? La question de la liberté ne sera peut-être jamais « résolue ». On ne sait pas trop comment ça pourrait être, vivre en liberté. Pratiquer la liberté entre nous tous. Tellement nos corps, nos sociétés, nos relations, nos pensées sont en grave manque d’elle. Mais la lutte nous offre le goût de la liberté, nous laisse son parfum dans la bouche.

Il faut du courage dans le combat pour la liberté. Non seulement c’est un combat contre l’Etat, mais aussi un combat contre la société telle qu’elle est aujourd’hui. Contre les normes étouffantes, les pensées limitées, les formes restreintes et habituelles de se rapporter les uns aux autres. C’est un combat qui exige d’oser réfléchir et agir nous-mêmes, en liberté, sans que d’autres nous dictent quoi que ce soit.

Pour moi, l’importance des soulèvements qui bouleversent des parties de ce monde au moment où j’écris ces mots, est parfaitement liée à cette question. Il y a des millions de gens sur cette planète qui sont en train de découvrir la liberté, en criant pour elle, en luttant pour elle. Au moment où on chasse les vieux pouvoirs et histoires, un espace s’ouvre pour expérimenter autre chose, pour se l’imaginer, pour la vivre.

Une dernière tentative alors. Qu’est-ce que c’est la liberté ? Elle n’est certes pas abstraite, la douceur qui viendrait après la révolution, ni atteignable en absolu aujourd’hui, dans ce monde de barreaux. Ce qui va de soi, c’est que j’ai besoin d’elle, car j’étouffe dans ce monde de devoirs. Qu’elle est la tension qui détermine mon bien-être. L’aventure qui me surprend et me donne l’envie de vivre, la raison principale pour laquelle je lutte, pour laquelle je m’insurge. Elle est le thermomètre des sentiments entre toi et moi.

Et alors, raconte-moi de la liberté. Je t’écoute…

Meilleurs vœux

Maintenant que la période des « fêtes » est derrière nous, on ne voulait pas vous priver de ce texte, écrit à l’issu d’une de ces typiques fêtes de famille…

La question vient aussitôt… Comme si elle était inévitable…
Une question à laquelle sont possibles cent, voire mille réponses.
Rapidement tu te rends compte qu’il ne s’agissait pas du tout des belles choses que tu avais en tête… Ces parents, que tu ne vois qu’une fois par an, ne sondent pas tes rêves ou tes idées, non, ces choses-là ne les intéressent pas. C’est autre chose qu’ils veulent savoir.

Quand la réponse attendue n’arrive pas, ils reposent la question. Ils insistent même. Oui, mais en fait, qu’est-ce que tu fais maintenant ? La question sonde le travail, le travail rémunéré bien entendu. Ce n’est pas uniquement cette question qui m’agace, mais bien l’idée que le travail rémunéré semble être la seule chose qui vaut quelque chose dans cette société. La seule chose à être reconnue, valorisée. Travailler, c’est ça qu’il faut faire. Le travail, c’est ça le destin de ta vie. La volonté n’en fait pas partie. Le rêve encore moins. Comme si tu n’avais droit à l’existence qu’uniquement à condition d’aller travailler.

Ils ne te lâchent pas. D’abord vient l’étonnement. Mais tu dois bien faire quelque chose ? Dans leur intonation, on remarque l’incrédulité. Comme s’ils ne pouvaient pas croire que c’est possible d’exister sans travail rémunéré. Ton travail comme substitut de ta personnalité, comme si tu devais être ton travail et pas un individu avec des idées, des passions et des désirs. L’incrédulité de t’entendre dire que tu sais remplir ton temps avec autre chose qu’un travail. L’aliénation est totale. Aliéné de ses propres désirs et intérêts. Un vide qui doit être comblé par l’impulsion, telle une drogue, vers la marchandise et la consommation.

Après l’étonnement vient le mépris et la condamnation. Mais tu dois bien vivre de quelque chose ? Tu gagnes ton pain… et donc une place dans la société… Comme si tu ne « méritais » de vivre que si tu gagnes du fric. Si tu choisis d’avoir le moins possible à voir avec l’argent, on te regarde compatissant, comme si tu étais fou, comme si tu ne l’avais pas compris. Gagner du fric, dépenser du fric : voilà ce qui devrait être le but de ta vie.

La famille, la « pierre angulaire » du vivre ensemble, le baromètre de la société. Ma famille a de nouveau fait son devoir ; en avant la reproduction des normes sociales ! Lors de l’au revoir, ils te souhaitent encore une année pleine de joie. Eh bien, je pense qu’eux en auront plus besoin que moi…

Brèves du désordre 27

Du bordel dans les taules – Dans la prison de Merksplas, une quarantaine de prisonniers refusent de réintégrer les cellules après le préau de l’après-midi. Ils commencent à casser des vitres. Les gardiens demandent des renforts de la police locale, qui se voit à son tour obligée demander des renforts de l’unité d’intervention spéciale de la police fédérale. Des heurts ont eu lieu et suite au mouvement, plusieurs prisonniers ont été transférés. A la prison d’Andenne, l’application d’un nouveau régime provoque des réactions de la part des prisonniers. Une première fois, c’est le blocage du préau, quelques jours après, un groupe de prisonniers se retranche sur le préau. Ils exigent un transfert collectif. Ce n’est que vers 3h du matin que l’unité d’intervention réussit à forcer les rebelles à réintégrer les cellules. Une dizaine de prisonniers sont mis au cachot et ensuite transférés.

The roof, the roof... – Chez un concessionnaire Audi à Ledeberg (Gand), un incendie criminel ravage 12 véhicules. A Deurne, un incendie ravage un hangar avec des voitures de luxe (4 véhicules carbonisés). Les pompiers pensent que l’origine est accidentelle, mais sans certitude. A Liège, Charleroi et encore à Gand, de nombreux véhicules ont été incendiés ces dernières semaines. Ces incendies interviennent notamment après la furieuse révolte en Grèce du 12 février, lors de laquelle des dizaines de bâtiments économiques et étatiques ont été cramés. Un véritable souffle d’insurrection s’était emparé des rues des villes grecques en réponse à la décision du gouvernement de prendre d’avantage de mesures d’austérité. Là-bas, un choix a été fait : se résigner dans la misère ou s’insurger pour la liberté.

Kalash – Lors d’un braquage sur un bateau au canal Albert à la hauteur de Herstal, la police tente d’intervenir. Un policier est blessé par balle à la jambe. Les braqueurs s’enfuient avec succès. A Namur, des policiers s’apprêtaient à contrôler un véhicule. Le conducteur refuse et une course-poursuite est entamée. Sur l’autoroute, quatre individus descendent de la bagnole et ouvrent le feu sur la police. Eux aussi disparaissent dans la nature.

Invitation – Depuis novembre, de très nombreux panneaux publicitaires à Bruxelles ont été détruits. A certains moments, on parle de 50 panneaux par nuit, ce qui revenait pour les entreprises de publicité à un coût de 30 000 euros par nuit. Fin février, JC Decaux déclarait dans la presse être soulagé que finalement, « la situation semble être calmée et soit retournée à un ‘niveau normal’ de casse ». Ça sonne comme une invitation à mettre les bouchées doubles.

Le sens de la vie – Vivre dans cette société peut être pénible, tellement pénible que certains ne voient plus aucune issue. Ce qui ne veut pas dire que le suicide doive par définition être un acte dépourvu de sens. A Bruxelles, un chauffeur tente de se suicider (au moins, c’est ce qu’il a déclaré ensuite à la police), en fonçant sur une escorte policière devant le Palais Royal à Laeken. 7 motards de la police ont dû être hospitalisés, 4 sont gravement blessés. Le chauffeur en question a été arrêté.

Congé maladie – Un prisonnier, amené à l’hôpital de Soignies, se fait la belle. Quelques complices ont réussi à maîtriser les gardiens dans sa chambre avant de partir en douce via la sortie de secours. Malheureusement, l’évadé a dû retourner à l’hôpital de Wilrijk quelques jours plus tard, souffrant de problèmes cardiaques. Il a été arrêté et sera de nouveau transféré vers la prison d’Ittre. Il purge une peine de 20 ans pour des faits de banditisme.